Graffiti, pochoir, mosaïque, affiche, sticker… autant de formes d’expression artistique qui, si elles sont apposées » sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain » constitue le délit de dégradation de biens punissable de 3750 euros d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général.
Quelle influence le caractère illégal d’une telle œuvre (à la supposer suffisamment empreinte de la personnalité de son auteur pour répondre au critère d’originalité) a-t-il sur les droits de son auteur ?
Comme souvent, pour trouver une réponse il convient de concilier les intérêts en présence : celui de l’auteur, celui des exploitants de l’œuvre et, dans ce cas particulier, celui du support matériel de l’œuvre.
Une œuvre de l’esprit éphémère ?
La jurisprudence en la matière est encore rare mais permet d’ores et déjà d’obtenir quelques éléments de réponse.
En 1999, dans une affaire où le défendeur assigné en contrefaçon faisait valoir que les films X qu’il avait reproduits ne bénéficiaient de la protection légale, en tant qu’œuvre de l’esprit, qu’à la condition qu’ils ne présentent pas un caractère odieux et dégradant pour la personne humaine, (ce qui caractériserait une infraction pénale), la Cour de cassation a jugé qu’ « en l’absence de preuve de son caractère illicite, une œuvre pornographique bénéficie de la protection accordée par la loi sur la propriété littéraire et artistique ».
Certains déduisent de cette décision que le caractère illégal d’une œuvre lui ôterait le bénéfice des droits d’auteur, ce qui se justifierait par application de l’adage selon lequel « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ».
Cependant, en 2006, la Cour d’appel de Paris a reconnu à des graffiti tagués sur des wagons de train la qualification d’ « œuvres éphémères » (parmi lesquelles figurent par exemple les sculptures sur glace ou sur sable, les coiffures originales ou encore les créations florales). Le qualificatif semble exact dans la mesure où les artistes de street art ont bien conscience du fait que leur œuvre peut à tout moment être détruite, effacée, la rendant alors de fait nécessairement éphémère.
Des droits d’auteur limités ?
A mon sens, le caractère illégal non pas de l’œuvre, mais plutôt de l’acte de sa matérialisation, ne devrait pas lui ôter de facto le statut d’œuvre de l’esprit mais plutôt éventuellement priver son auteur de certaines prérogatives dans l’exercice de ses droits.
En pratique, il est rare de voir un auteur de street art revendiquer un quelconque droit, au risque de se voir poursuivre pénalement pour vandalisme. La poursuite de tels faits délictueux est toutefois prescrite 3 ans après leur commission (sous réserve de l’existence d’éventuels actes interruptifs ou suspensifs de prescription) ce qui permet donc à l’artiste de recouvrer sa totale liberté d’action après un certain laps de temps.
Toutefois, la preuve de sa paternité, là encore en raison du risque pénal encouru par l’auteur qui divulguerait son identité au moment de la matérialisation de son œuvre, sera parfois difficile à apporter après un certain temps. Juridiquement il est également intéressant de se demander si l’on pourrait même envisager un droit à l’anonymat, corolaire du droit moral à la paternité, permettant à l’auteur d’imposer que l’œuvre ne lui soit pas attribuée ? Compte tenu du caractère inaliénable du droit moral de l’auteur, ce dernier ne pourrait quoiqu’il en soit pas renoncer à sa paternité de manière irréversible.
A considérer l’œuvre susceptible de donner prise au droit d’auteur, le street artist devrait en toute hypothèse pouvoir, comme tout titulaire de droit d’auteur, s’opposer à la reproduction de son œuvre, surtout lorsque cette reproduction est effectuée à des fins commerciales (édition, publicité, produits dérivés par exemple) ou porterait atteinte à l’esprit même de l’œuvre (association idéologique, détournement etc.)
Il n’est donc en théorie pas légalement possible de reproduire une photographie représentant une œuvre de street art sans l’autorisation de son auteur et de celui de la photographie.
Dans certains pays (Allemagne, Espagne, Suisse par exemple), la « liberté de panorama » autorise, dans certains cas, la libre reproduction de l’image d’œuvres normalement protégées, dès lors que celles-ci se trouvent dans l’espace public. Une proposition de loi visant à introduire en France une telle exception au droit d’auteur a été rejetée l’année dernière.
Quels droits pour le propriétaire du support matériel ?
En cas d’accord du propriétaire du support (autorisation expresse, commande, mise à disposition de murs dédiés au graffiti par exemple), les œuvres de street art ne soulèvent pas de problématique particulière en terme de droit d’auteur.
La question est tout autre lorsque le propriétaire du support matériel (un mur, un wagon, une palissade, un trottoir, un panneau de circulation…) n’a pas autorisé ce qu’il est légalement en droit de considérer comme une dégradation de son bien.
Or, la propriété du support matériel étant indépendante de la propriété incorporelle de l’œuvre, comment concilier le droit de propriété et le droit d’auteur dans un tel cas ? Le propriétaire a-t-il le droit de détruire une œuvre de l’esprit sans l’accord de son auteur, en violation du droit moral au respect de l’intégrité de l’œuvre ? Un auteur peut-il, sous couvert de la liberté de création, investir la propriété d’autrui ?
Il ne pourra certainement pas être reproché au propriétaire du support de détruire l’œuvre réalisée de manière illicite sur son bien, quand bien même cela porterait indiscutablement atteinte au droit moral de l’auteur au respect de l’intégrité de son œuvre. Le droit moral, imprescriptible et inaliénable, cédera devant le droit de propriété du support en raison de l’illégalité de la fixation de l’œuvre.
En revanche, la Cour d’appel de Paris a débouté la SNCF d’une demande de faire interdire la publication de photographies de wagons graffés dans la mesure où, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le propriétaire ne peut s’opposer à la reproduction de l’image de ses biens (les wagons) que s’il en résulterait un trouble anormal. Tel n’était pas le cas en l’espèce.
Ainsi, le propriétaire du support matériel de l’œuvre de street art ne peut en interdire la reproduction, sauf à démontrer que cette reproduction lui causerait un trouble anormal (un afflux significatif de personnes venant voir l’œuvre de ses propres yeux par exemple).
Enfin, pour mémoire et de manière classique, le titulaire de droits d’auteur sur une œuvre reproduite sans autorisation dans une œuvre de street art, pratique largement répandues en la matière, pourrait tout à fait s’opposer à toute exploitation de cette œuvre dérivée non autorisée.
Article rédigé par Margerie Véron, auteur du livre « Le droit d’auteur pour les écrivains »
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Un grand merci à Steven.k aka Aches pour l’illustration de cet article. Né en 1975 à Paris, Aches reçoit ses premiers « chocs visuels »au cours de son enfance à Saint Denis : le graff est une révélation. Il commence alors à peindre en 89 dans les Yvelines. Après des études de communication visuelle et une Maîtrise d’arts plastique, il travaille désormais en partenariat avec les mairies et centres culturels dans le cadre de développement de projets urbains. … Aujourd’hui dans le Finistère, face à la mer l’aventure continue…