Ou comment faire retirer une photographie représentant un chef d’état en embrassant un autre.
La marque de vêtement italienne Benetton est déjà bien connue pour ses images engagées et provocantes. Sa dernière campagne de publicité UNHATE représente actuellement plusieurs dirigeants s’embrassant sur les lèvres : Barack Obama et Hu Jintao, Benyamin Netanyahou et Mahmoud Abbas, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ou encore le Pape Benoît XVI et l’imam de la mosquée Al-Azhar.
Comment ces personnalités peuvent-elles juridiquement réagir ? Voici comment le Pape, Barack Obama et Nicolas Sarkozy font valoir leur droit à l’image.
- Le Vatican fait valoir une atteinte à la dignité du Pape et à la sensibilité des chrétiens
Après avoir exigé, et obtenu, le retrait de l’image représentant le Pape, le Vatican menace de poursuites judiciaires la société Benetton, au motif que l’image du souverain pontife y apparaît « sur un mode typiquement commercial » et est « jugée blessante non seulement pour la dignité du Pape mais aussi pour la sensibilité des croyants« . Deux fondements juridiques distincts aux chances de succès inégales.
Le fondement purement religieux est inefficace en France
L’argument fondé sur l’atteinte à la sensibilité des chrétiens rappelle l’interdiction demandée par la conférence des évêques de France, de la campagne d’affichage des créateurs Marithé et François Girbaud au motif que le caractère mercantile de cette publicité, qui s’inspirait de La Cène, portait atteinte aux croyances des catholiques. Interdiction accordée par le Tribunal et la Cour d’appel, censurée par la Cour de cassation en ces termes :
« En retenant l’existence d’un tel trouble, quand la seule parodie de la forme donnée à la représentation de la Cène qui n’avait pas pour objectif d’outrager les fidèles de confession catholique, ni de les atteindre dans leur considération en raison de leur obédience, ne constitue pas l’injure, attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse, la cour d’appel a violé les articles 29 alinéa 2, 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881, l’article 809 du Nouveau Code de procédure civile, ainsi que 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. »
Les Tribunaux français sont en effet généralement peu enclin à faire prévaloir des arguments religieux sur la liberté d’expression (le retrait de l’affiche du film « Amen » de Costa-Gavras, représentant une croix catholique prolongée par une croix gammée, avait par exemple déjà été refusé). J’y reviendrai si le sujet vous intéresse.
Dans le cadre de la campagne Benetton, l’Eglise aura donc surement beaucoup plus de chance d’obtenir l’interdiction de diffusion de l’image et des dommages et intérêts pour le préjudice subi en se fondant tout simplement sur le droit à l’image du Pape.
Une action fondée sur le droit à l’image aurait plus de chances de succès
Benoit XVI devra alors agir en son nom propre pour exercer une action fondée sur l’article 9 du Code civil dont dérive le droit qu’a chacun d’autoriser ou d’interdire la reproduction de son image.
En effet, en principe, toute personne physique, quelque soit son rang, sa notoriété ou son statut, dispose d’un monopole sur son image qui lui permet d’interdire à quiconque de l’utiliser sans autorisation. Ce principe connait toutefois des exceptions pour des raisons liées à la liberté d’expression (droit à l’information du public, caricature humoristique). Mais cette exception connait elle-même des limites lorsque l’utilisation de l’image de la personne est faite à des fins purement commerciales ou porte atteinte à la dignité humaine (motif retenu par exemple pour la publication de la dépouille du Préfet Erignac).
En l’espèce, l’utilisation faite de l’image du Pape et des autres dirigeants l’est à des fins commerciales, à moins que l’on considère éventuellement que la campagne véhicule un message plus noble, telle la paix dans le monde, ou qu’elle traite d’un sujet d’actualité. La liberté d’expression pourrait alors être invoquée, sans garantie de succès pour autant.
- Le Président Obama « désapprouve »
Le Président américain n’a pas indiqué s’il entendait agir judiciairement pour s’opposer à la diffusion de la publicité litigieuse mais indique dans un communiqué : « Depuis longtemps, la Maison Blanche a pour politique de désapprouver l’usage du nom et de l’image du président pour des motifs commerciaux ».
En effet, en janvier 2010, une immense affiche publicitaire exposée à Times Square en plein centre de New York et représentant le Président américain avait été retiré quelques jours plus tard à la demande de la Maison Blanche.
- Le Président Sarkozy s’oppose régulièrement à l’utilisation commerciale de son image mais pourrait voir son action judiciaire suspendue jusqu’à la fin de son mandat
Le Président de la République française ne s’est quant à lui pas encore manifesté alors qu’il était à une époque coutumier des actions visant à faire respecter son droit à l’image.
En effet, en janvier 2008, Nicolas Sarkozy et Carla Bruni avaient assigné la compagnie Ryanair pour la diffusion d’une publicité composée d’une photographie du couple présidentiel et du slogan « Avec Ryanair, toute ma famille peut venir assister à mon mariage ». En raison du caractère purement commercial de la reproduction de leur image, le Tribunal a, sans surprise, condamné l’atteinte.
Quelques mois plus tard, le Président attaquait la commercialisation d’une poupée vaudou à son effigie et destinée à être piquée d’aiguilles. Si le Tribunal a jugé en première instance que l’atteinte au droit à l’image du Président était justifiée par la liberté d’expression (en l’espèce le droit à la caricature compte tenu du caractère humoristique du coffret), la Cour d’appel a partiellement donné raison à N. Sarkozy au motif que le fait d’inciter le lecteur à piquer une poupée avec des aguilles constituait une atteinte à la dignité de la personne en ce qu’elle sous-tend l’idée de faire physiquement mal. La commercialisation n’était pas interdite pour autant, seule la mention de la condamnation et de son motif devait être apposée sur le coffret.
Mais plus récemment, Nicolas Sarkozy a vu ses affaires judiciaires renvoyées à être jugées à la fin de son mandat.
En effet, dans le cadre de l’utilisation des données bancaires du Président, les magistrats ont reporté à la fin de son mandat leur décision sur sa demande de réparation du préjudice moral. Dans une autre affaire, le Tribunal de grande instance de Paris a estimé qu’il ne pouvait se prononcer sur la procédure d’atteinte à la présomption d’innocence intentée par Yvan Colonna tant que Nicolas Sarkozy était Président de la République.
Le sursis à statuer est justifié par l’article 67 de la Constitution, qui prévoit que le Président de la République « ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite ». Cette immunité disparait un mois après la fin des fonctions du chef de l’Etat.
Les magistrats considèrent également que cette immunité pénale porte atteinte au principe d’égalité des armes avec la défense. Par ailleurs, le Président de la République étant à la tête du Conseil supérieur de la magistrature, un problème d’impartialité des juges se pose à l’évidence.
Dans ces conditions, le chef de l’Etat pourrait n’avoir aucun intérêt à demander une indemnisation pour l’utilisation de son image par la publicité Benetton, qui met en avant l’amitié franco-allemande, puisqu’elle ne lui sera peut être accordée que dans plusieurs mois/années…
A l’heure de la rédaction de ce billet, les autres personnes représentées n’ont pas encore publiquement fait part de leur réaction. Les suites judiciaires qui seront données à cette campagne publicitaire sont donc incertaines.
Article rédigé par Margerie Véron, auteur de « Le droit d’auteur pour les écrivains »