Le Cloud, ou nuage informatique, infonuage … peut être défini comme l’ensemble des techniques et pratiques consistant à accéder, via Internet, à du matériel, des données, des œuvres, ou des logiciels informatiques situés chez un prestataire de services plutôt que chez l’utilisateur.
Bien que M. Jobs en soit l’un des pionniers, il ne s’agit pas d’une nouvelle technologie ou d’une révolution mais plutôt d’une évolution de modèles économiques récents. Compte tenu de la diversité des business models existants, il peut être affirmé qu’il n’existe en réalité pas un, mais des Clouds, rendant une approche globalisante quasi impossible.
Tant le droit d’auteur que la liberté d’expression sont concernés par ces services offrant la possibilité de distribuer, stocker et consulter tout genre d’œuvres de l’esprit (audiovisuel, musique, photographie, écrits, arts graphiques etc.) En effet, les fonctionnalités de synchronisation de ces services permettent la multiplication des copies, et donc des actes de reproduction, de ces œuvres. Il est donc essentiel de savoir comment appliquer à ces actes d’un genre nouveau les règles juridiques existant en la matière.
Pour se faire, trois intérêts doivent être mis en perspective :
– Les auteurs et leurs ayants-droit doivent pouvoir bénéficier de la protection du droit d’auteur et obtenir rétribution en cas d’utilisation de leurs œuvres ; la diversité culturelle doit être encouragée, notamment par le versement d’une juste rémunération en cas d’exploitation de leur création.
– Les utilisateurs d’Internet doivent pouvoir bénéficier de la liberté d’expression et de la libre circulation des données, valeurs fondatrices de la Toile ; ils ont donc besoin de garde-fous suffisants à cet égard mais aussi de garanties quant à la sauvegarde de leur espace privé.
– Les fournisseurs des services du Cloud doivent eux aussi pouvoir bénéficier de certitudes juridiques, afin d’encourager l’innovation et le développement de nouveaux modèles économiques ; la liberté d’entreprendre ne doit pas être entravée par de trop lourdes contraintes pesant sur ces entrepreneurs.
Des concessions sont donc nécessaires : si la logique du commerce électronique ne doit pas l’emporter sur celle des créateurs et de leurs ayants droit, ces derniers ne doivent eux-même pas abuser à vouloir obtenir une rémunération systématique pour tous les actes d’exploitation de leurs œuvres.
© Dans le domaine du Cloud, une analyse juridique classique est applicable mais il est nécessaire de décomposer les actes réalisés en pratique. En effet, le droit d’auteur tel qu’il existe actuellement est conçu autour d’un usage unique d’une œuvre fondé sur une copie physique alors que l’on assiste progressivement à l’émergence d’un usage fondé sur l’accessibilité à un contenu dans un environnement en réseau. On est ainsi récemment passé d’une logique de possession d’un support matériel (Vinyle, K7, CD, DVD, CD ROM) à une logique d’accès multisupports à des contenus dématérialisés.
Je vous propose ici un bref aperçu de quelques questions soulevées par chacune des trois catégories principales de services destinés aux particuliers : le « casier personnel » (1), les services d’identification et de recherche d’équivalents (2) et ceux rattachés à un service de téléchargement légal (3).
1. Le « casier personnel »
Il s’agit d’un service de mise à disposition d’un espace de mémoire distante permettant à l’utilisateur de répliquer le contenu de sa bibliothèque numérique sur tous ses supports numérique (par exemple le service Dropbox).
Dans un premier temps, l’utilisateur télécharge (upload) le contenu de son ordinateur vers le nuage pour son usage privé. A ce stade, l’utilisateur peut rencontrer des obstacles matériels en raison de la présence de Mesures Techniques de Protection (en baisse dans la musique, en hausse dans l’audiovisuel) dont le contournement est pourtant sanctionné.
Se pose d’ores et déjà la question de savoir si un tel acte est un acte d’exploitation relevant du droit exclusif de l’auteur ou s’il est couvert par l’exception de copie privée prévue par l’article L. 122-5, 2° du Code de la Propriété Intellectuelle. Un tel acte doit selon moi être assimilé à la ‘sauvegarde de données’ sur un disque dur local (lui même assujetti à la « taxe copie privée » sur les supports numériques).
L’utilisateur a ensuite la possibilité de télécharger (download) le contenu de son espace dans le nuage vers de nouveaux supports numériques (son téléphone, sa tablette). Là encore se pose la question de savoir si un tel acte doit être considéré comme relevant du droit exclusif de l’auteur et nécessitant donc son autorisation ou s’il relève de l’exception de copie privée (exception n’existant pas dans tous les pays, certains ayant une exception équivalente comme le fair use américain, d’autres non).
Une seule certitude, l’exception de copie privée ne peut trouver à s’appliquer en cas de copie de fichiers illicites. Cependant, le titulaire des droits d’auteur ne sera pas pour autant averti de la reproduction illicite et le prestataire invoquera un rôle passif et neutre d’hébergeur pour limiter sa responsabilité en cas de revendication.
Par ailleurs, le Cloud peut offrir à l’utilisateur des options de partage avec d’autres utilisateurs voire des tiers. Dans ce cas, le rôle du prestataire de service ne sera plus si neutre et passif, de sorte qu’il pourrait ne plus bénéficier du statut de simple hébergeur.
2. Le service d’identification et de recherche d’équivalents
Ce service propose de répliquer la bibliothèque numérique de l’utilisateur et de l’ajuster sur tous ses autres supports numériques au fur et à mesure de son évolution (ex : iTune match)
Lorsque l’utilisateur souhaite télécharger (upload) un contenu dans le Cloud, le service recherche l’œuvre dans la base de donnés par méta-données ou par extraits.
Si le nuage n’identifie pas l’œuvre, il classe une copie de l’œuvre appartenant à l’utilisateur dans son casier personnel.
Si l’œuvre est identifiée, le nuage met un fichier équivalent à disposition de l’utilisateur (ce afin de ne pas avoir à stocker des milliers de copies d’un même fichier sur ses serveurs). Il y a donc à ce stade un acte de substitution de fichier. Le plus souvent, le fichier substitué aura également une valeur ajoutée (image, pochette) par rapport au fichier de l’utilisateur, qui gagnera notamment en qualité sonore. Cette substitution pourrait pourtant s’apparenter à du blanchiment en cas de substitution d’un fichier illicite.
Là encore se pose la question de savoir si juridiquement il s’agit d’un acte de copie privée. L’on s’accorde à dire que la réponse est oui si l’on considère que l’effet est le même (logique du disque dur), mais non si l’on considère que l’œuvre n’est plus la même (qualité différente notamment).
S’il s’agit d’un acte de copie privée, alors peut être mérite-t-il rémunération ?
Si l’on considère qu’il ne s’agit alors pas d’un acte de copie privée, l’autorisation des ayants-droit est nécessaire préalablement à la substitution, voire pour le téléchargement (download) par l’utilisateur de l’œuvre vers ses supports (voir 3.).
Dans le cadre de ce type de service, une responsabilité accrue du prestataire de service peut être envisagée, ce dernier n’étant manifestement plus qu’un simple hébergeur au rôle simplement passif et neutre.
3. Le service de synchronisation associé à un service de vente
Ce service propose d’abord d’acheter du contenu, puis de le stocker dans le Cloud et de le synchroniser sur les supports de l’utilisateur (ex. : Google Play)
Il est évident que l’acte de vente relève du droit exclusif, ainsi en va-t-il donc de l’acte de téléchargement de l’exemplaire initial d’une œuvre.
En cas de synchronisation instantanée sur les terminaux « autorisés » par l’utilisateur du contenu acheté ou substitué (en général en nombre limités, les reproductions étant, elles, illimitées) comme en cas de synchronisation différée (historique d’achats permettant de re-télécharger un contenu acquis par le passé ou synchronisation à la demande pour tenir compte des capacités de stockage plus limitées de certains terminaux) se trouve-t-on alors dans un cas de droit exclusif nécessitant d’avoir obtenu l’autorisation préalable des ayants-droit ? Quid du cas où le prestataire fournit non pas une copie du fichier vendu mais un lien pour la synchronisation : il ne s’agit plus stricto sensu d’une copie, quel régime est alors applicable ?
Sur ces questions, un consensus est difficile à trouver. En effet, les producteurs audiovisuels plaident naturellement en faveur du tout droit exclusif et s’opposent à d’autres acteurs du secteur musical notamment voyant dans les actes de synchronisation à l’initiative de l’usager une nouvelle manifestation de l’exception de copie privée.
Une analyse traditionnelle des critères de la copie privée conduit plutôt à privilégier la thèse du droit exclusif (le copiste n’est pas l’utilisateur et il ne saurait y avoir d’intérêt commercial en la matière) mais une interprétation différente reposant sur le statut nouveau des services de synchronisation est possible dans la mesure où le critère d’identité entre le copiste et le bénéficiaire de la copie n’a rien de légal et a été instauré par des juges à une époque où le principe de ‘neutralité technologique’ n’était pas connu.
Se pose également la question dans le cas de la mise à disposition d’un service d’écoute offline, dans lequel une copie de l’œuvre est réalisée : bien que cachée, elle ne peut être considérée comme transitoire au sens de l’article L. 122-5, 6° du Code de la Propriété Intellectuelle puisqu’elle est présente dans le support final de lecture (contrairement au service de simple streaming, pour lequel seul le droit de représentation est en jeu).
Dans un avis rendu le 23 octobre, le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) suggère de soumettre à copie privée avec rémunération toutes les reproductions multiples de contenus faites à l’initiative de l’utilisateur sur ses terminaux personnels.
Au-delà de ces services, on trouve aussi dans le Cloud des plateformes d’échanges de contenu générés par les utilisateurs (Facebook, Soundcloud), d’autres permettant au public de partager des copies du Cloud (Megaupload, Rapidshare), des services de télévision en différé et des magnétoscopes numériques. Les questions juridiques soulevées par ces services en matière de droit d’auteur sont également très nombreuses. J’y reviendrai si le sujet vous intéresse.
Certains pensent que l’on est en train d’assister à un déplacement du droit d’auteur vers l’utilisation de l’œuvre, de la notion de copie privée à la notion d’usage normal. D’autres s’interrogent sur les priorités à mettre en place : maximiser les utilisations autorisées ou minimiser les autorisations non autorisées ? Si les licences doivent probablement être encouragées, se posent alors la question du bénéficiaire de celle-ci (utilisateur final ou fournisseur de service ?) et pourquoi pas celle de la mise en place d’un nouveau système de gestion collective.
Quoiqu’il en soit, il existe en matière de Clouds un problème majeur de territorialité : le prestataire, l’ayant droit et l’utilisateur pouvant se trouver dans lieux différents mais également se déplacer partout dans le monde. Quelles sont alors les juridictions compétentes et quel droit doit être appliqué ?
S’il est nécessaire de trouver un consensus mondial, le droit est actuellement en arrière de la pratique favorisant l’existence de paradis numérique. Il appartient donc aux acteurs du secteur et aux professionnels du droit de faire à leur tour preuve d’originalité pour apporter des solutions satisfaisantes pour tous.