Interview : Bien connaitre ses droits et ses devoirs avant de publier son livre !

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Entretien de Margerie Véron avec Patrick du Boisbaudry, auteur du blog Mémoire d’un biographe – conseils pour écrire et se faire publier  :

« Imaginez qu’au hasard d’une promenade dans Paris, vous preniez en photo la pyramide du Louvre. Vous écrivez un livre et vous cherchiez désespérément une photo pour illustrer la couverture. Voilà, vous l’avez trouvée !

Pas si simple …  Vous ignorez sans doute qu’en faisant paraître votre livre avec la pyramide en couverture vous risquez d’être poursuivi sur le plan pénal pour contrefaçon.

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Moralité : roman, récit de vie, autobiographie, biographie … ce n’est jamais anodin de publier un livre. Un auteur peut être poursuivi pour injure, diffamation, atteinte à la vie privée, contrefaçon, etc. Même si le risque d’être traîné en justice reste exceptionnel,  il est préférable de bien connaître ses droits et ses devoirs avant de publier un ouvrage.

Vous êtes d’ailleurs nombreux à me poser des questions sur ce sujet et comme ce domaine ne relève pas de ma compétence, j’ai sollicité l’aide d’une spécialiste.  Avocate, Margerie Véron est spécialisée notamment dans le droit d’auteur et tient un blog où vous trouverez des renseignements précieux. Je la remercie d’avoir bien voulu répondre à mes questions avec une grande gentillesse et beaucoup de compétence. »

L’INJURE

Pouvez-vous nous expliquer la différence entre l’injure et la diffamation ?

L’injure est constituée par « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective, qui ne renferme l’imputation d’aucun fait précis » alors que la diffamation est « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ».

Par exemple si dans un récit de vie, j’écris que mon frère est malhonnête sans autre précision, il s’agit d’une injure ou de diffamation ?

Aucun fait précis n’étant imputé à votre frère, il s’agit d’une injure. Mais si vous aviez écrit : « mon frère est malhonnête parce qu’il a dépouillé nos parents de leur fortune », il pourra s’agir de diffamation. Vous alléguez que votre frère a volé vos parents, c’est un fait précis.

En cas d’injure, quels risques j’encours ?

L’injure est considérée comme un délit. Sur le plan pénal, vous risquez au maximum une contravention de 12 000 €, outre les dommages et intérêts que la personne injuriée pourrait vous réclamer.

 Dans quels cas, je peux être poursuivi ?

La mauvaise foi est présumée, cependant pour être condamné, il  faut que la personne mise en cause soit clairement identifiée. Par exemple il faut qu’elle soit nommée ou que le descriptif soit suffisamment précis pour qu’on puisse l’identifier sans le moindre doute. Si la personne est clairement identifiée, pour vous défendre vous pouvez faire valoir l’excuse de provocation en démontrant notamment que votre réponse a été donnée sous le coup de l’émotion. Mais dans ce cas, il vous faut réagir vite, dans les jours qui viennent. Cela est possible lorsqu’il s’agit d’un article de presse, mais difficile, voire impossible lorsqu’on écrit un livre. En tant qu’auteur d’un livre, mieux vaut alors s’abstenir de proférer des injures, même à votre pire ennemi.

 Je bénéficie de quels délais de prescription ?

Trois mois à partir de la publication. Cela signifie que trois mois après la publication de votre livre, personne ne pourra vous attaquer pour injure à son encontre pour cette publication.

Quels conseils  me donneriez-vous pour éviter d’être poursuivi pour le délit d’injure ?

Tout simplement de changer les noms propres et l’appellation  des lieux afin que la ou les personnes ne puissent être clairement identifiées.

 LA DIFFAMATION

 En cas de diffamation, quels risques j’encours ?

Rappelons que la diffamation est constituée par « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ».Les risques encourus dépendent de la qualité des personnes visées. Il y a diffamation aggravée lorsque les personnes visées appartiennent à un corps public comme l’armée, à une administration, à un mouvement religieux, etc. Ce sera également le cas si vous diffamez une personne en raison de sa race, de son appartenance ethnique, etc. La peine maximale sera un an d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.

Quels arguments je peux faire valoir pour éviter la condamnation ?

La diffamation ne sera pas constituée si vous pouvez prouver la véracité des faits. Il y a toutefois une exception lorsque la diffamation porte sur des éléments de la vie privée. Dans ce dernier cas, vous n’aurez pas le droit de prouver la véracité des faits, car cela serait considéré comme une atteinte à la vie privée. Un autre moyen de défense  est de prouver votre bonne foi. Comment ? En faisant valoir la légitimité du but que vous poursuivez (par exemple une mission d’information), en montrant que vos propos sont mesurés, en démontrant la qualité de votre enquête et en prouvant votre absence d’animosité personnelle.  Ces arguments vous seront très précieux pour vous défendre si vous avez écrit un livre dénonçant telle ou telle pratique de l’administration, d’hommes publics,  de personnalités, etc.

En cas de diffamation, quels sont les délais de prescription ?

Trois mois, les mêmes qu’en matière d’injure.

Comment éviter de faire l’objet d’une poursuite pour diffamation ?

Contrairement à l’injure, il ne suffira pas toujours de changer le nom des personnes et des lieux. Il suffit que la personne que vous visez soit facilement identifiable pour que vous soyez condamné. Rappelez-vous l’affaire Yann Piat, une députée assassinée dans le Var. Deux journalistes avaient écrit un livre dénonçant deux hommes politiques comme commanditaires de l’assassinat. Désignés sous les sobriquets de L’Encornet et de Trotinette, ils furent  cependant rapidement identifiés comme étant Jean-Claude Gaudin et François Léotard. Les auteurs  et l’éditeur furent donc attaqués et condamnés pour diffamation.

L’UTILISATION DE PHOTOGRAPHIES

J’aimerais illustrer la couverture de mon livre par une photo. Je découvre sur internet une magnifique photo de la pyramide du Louvre, puis-je l’utiliser sans rien demander à personne ?

Non car vous seriez considéré comme un contrefacteur (contrefaçon). Il s’agit d’un délit pénal punissable de 3 ans d’emprisonnement et de 300.000 € d’amende pour les peines maximales. Sans compter les dommages et intérêts que les auteurs (l’architecte et le photographe) pourraient vous réclamer pour la réparation du préjudice subi.

Mais imaginons que je prenne moi-même la photo de la pyramide du Louvre ?

Même si c’est vous le photographe, il vous faudra l’autorisation de l’architecte pour pouvoir utiliser la photo publiquement.

La question se pose de la même façon pour tous les monuments de France ? Si je veux utiliser une photo, je dois toujours demander l’autorisation ?

Non, cela est valable uniquement lorsque le monument est protégé par le droit d’auteur, autrement dit un  monument dont l’architecte n’est pas décédé depuis plus de 70 ans. Ainsi, l’Arc de Triomphe ou l’Obélisque de la Concorde peuvent être librement reproduits. Leur photo peut illustrer la couverture ou l’intérieur de votre livre sans aucun problème.

Si je veux utiliser une photo trouvée sur internet, le fait de mentionner la source est-il suffisant ?

Non, si la photo est originale au sens du droit d’auteur, il vous faut demander l’autorisation expresse de l’auteur, de préférence par écrit au cas où vous auriez à fournir une preuve.

On voit parfois sous une photographie la mention « libre de droit ». Cela signifie que je peux l’utiliser comme bon me semble ?

Non, la notion de photo libre de droits peut recouvrir des réalités très différentes. Quoiqu’il en soit, l’auteur conserve toujours un droit moral pour s’opposer à l’association de son œuvre à une autre qu’il estimerait dégradante par exemple.

LES ATTEINTES  A LA VIE PRIVE

 Que recouvre la notion « atteinte à la vie privée » ?

L’article 9 du Code Civil stipule que « chacun a droit au respect de sa vie privée… » Ce principe est également repris dans la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui affirme à l’article 8 :  » Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, de sa correspondance (…). «

Lorsque j’écris un livre, dans quels cas puis-je être poursuivi pour atteinte à la vie privée ?

Il n’y a d’atteinte que si la personne visée peut être identifiée avec certitude par le lecteur. Ce fut le cas dans le procès qui opposa la romancière Christine Angot à  Élise Bidoit.  Le personnage du roman Hélène présentant de réelles similitudes avec madame Bidoit, l’auteur et son éditeur ont été condamnés à lui verser des dommages et intérêts. Marcela Lacub fut également condamnée à verser des dommages et intérêts à Dominique Strauss-Kahn après avoir raconté sa liaison avec l’homme politique dans un ouvrage intitulé «  Belle et bête ». Dans les deux cas, le changement de nom des personnages n’a pas suffi à écarter les poursuites.

Quels risques j’encours en portant atteinte à la vie privée d’une personne ?

Il ne s’agit pas d’un délit pénal, mais d’une faute civile. Elle ne peut donc être sanctionnée ni par de la prison, ni par des amendes, mais par le versement de dommages et intérêts.

 Dans quels cas mon livre peut-il être retiré de la circulation ?

Le retrait d’un ouvrage est extrêmement rare, même lorsqu’il y a une atteinte grave. En général, ce sont les dommages et intérêts qui sont censés réparer le préjudice subi. L’éditeur peut également être condamné à insérer un encart sur la couverture mentionnant la condamnation ou à apporter une rectification.

Pour éviter toutes poursuites judiciaires, n’ai-je pas intérêt à  écrire mon livre sous un pseudonyme ?

Non, ce n’est pas une solution. Si vous avez publié votre livre sous un pseudonyme, l’éditeur est tenu de faire figurer ses coordonnées lors du dépôt légal. Il sera donc retrouvé et pourra se retourner contre vous. Même cas de figure, si vous pratiquez l’autoédition, vous avez l’obligation de remplir un formulaire comportant votre véritable identité.