L’atteinte à la vie privée : limite à la liberté d’expression

« S’il n’était pas permis aux romanciers et aux auteurs dramatiques de prendre leurs personnages dans la vie réelle, dans ses événements mêmes, de s’inspirer du spectacle d’une grande action ou d’un crime honteux pour éveiller dans le cœur l’admiration ou la réprobation, il faudrait interdire le roman et fermer le théâtre. » Affaire Jules Verne – Face au drapeau 1897.

L’exercice de cette liberté d’expression trouve toutefois ses limites, notamment en cas d’abus pour des raisons sécuritaires ou pour protéger le droit des individus. Roman, essai, document, (auto) biographie, enquête, article de presse… tout texte rendu public et faisant référence à des personnes ou à des situations réelles peut ainsi engager la responsabilité de l’auteur dès lors qu’il cause un préjudice à un tiers.

Droit fondamental pouvant entrer en conflit avec la liberté d’expression, le respect dû à la vie privée d’autrui est affirmé à l’article 9 du Code Civil, également repris dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, de sa correspondance (…). »

C’est pour cela que vous ne pouvez divulguer certains souvenirs ou secrets partagés avec d’autres personnes ou liés à la vie privée de ces personnes sans leur consentement.

S’agissant d’un droit de la personnalité, il ne concerne que les personnes en vie. Pour les personnes décédées, il faudra éventuellement considérer le délit d’atteinte à la mémoire des morts (voir plus loin).

La sphère de la vie privée comprend par exemple le statut matrimonial, le nombre d’enfants, le domicile. Avec l’orientation sexuelle ou politique, l’état de santé on entre même dans la sphère de « l’intimité de la vie privée ». A l’inverse, la profession d’un individu ne relève pas nécessairement de sa vie privée.

D’une manière générale, les juges ne condamnent l’atteinte à la vie privée d’un individu que dès lors que celui-ci démontre qu’il en subit un préjudice, ce qui n’est pas le cas lorsque le portrait brossé est élogieux, que la personne n’en sort pas amoindrie ou qu’il n’y a pas le moindre risque de confusion. Cela vous permet donc de citer librement le nom d’une personnalité célèbre, à condition qu’elle ne soit pas présentée de manière « grotesque, odieuse ou ridicule ». Par ailleurs, les informations déjà révélées par l’intéressé cessent d’être secrètes et deviennent librement disponibles.

Parce qu’il n’est pas toujours possible d’inventer complètement un nom, cela permet également d’utiliser, par le fruit du hasard, un patronyme existant. Ainsi, le comte de Beru a été débouté de ses demandes à l’encontre de Frédéric Dard après avoir découvert le célèbre personnage de San-Antonio, faute de risque de confusion.  De la même manière, les poursuites engagées par un certain Costa à l’encontre de Montherlant pour « Les jeunes filles » furent jugées irrecevables. Le seul fait de porter le nom de Costa comme le héros libertin ne suffit pas à prouver qu’il s’agit de soi, d’autant qu’il existait à l’époque dix-huit Costa dans l’annuaire local et que ni la profession ni la domiciliation ne coïncidaient.

La solution est tout autre lorsque l’on s’inspire d’une personne ou d’une situation réelle. Ce fut par exemple le cas dans le procès qui opposa la romancière Christine Angot à Élise Bidoit. Le personnage du roman Hélène présentant de réelles similitudes avec Madame Bidoit, l’auteur et son éditeur ont été condamnés à lui verser des dommages et intérêts. Marcela Lacub fut également condamnée à verser des dommages et intérêts à Dominique Strauss-Kahn après avoir raconté sa liaison avec l’homme politique dans un ouvrage intitulé « Belle et bête ». Dans les deux cas, le changement de nom des personnages n’a pas suffi à écarter les poursuites : ils restaient identifiables.

Les libertés de création et d’expression vous permettent aussi d’évoquer des figures de l’histoire ou de l’actualité, même sous un aspect critique ou polémique. Ainsi, à condition de ne pas révéler de faits intimes, vous n’avez par exemple pas besoin d’autorisation préalable pour publier la biographie d’un tiers.

Dans ce domaine comme dans celui des faits divers ou d’actualités [1], les juges s’attacheront à rechercher si l’auteur rend compte avec prudence, exactitude et objectivité, de recherches sérieuses et documentées ou si, au contraire il recherchait le sensationnel à travers une version romancée des faits et des protagonistes.

La solution à de telles poursuites étant donc subjectives, évitez les épisodes de vie privée imaginée susceptibles de nuire à la personne représentée !

Il ne s’agit pas d’un délit pénal, mais d’une faute civile. Elle ne peut donc être sanctionnée ni par de la prison, ni par des amendes, mais par le versement de dommages et intérêts. Le retrait d’un ouvrage est extrêmement rare, même lorsqu’il y a une atteinte grave. En général, l’octroi de dommages et intérêts est censé réparer le préjudice subi. L’éditeur peut également être condamné à insérer un encart sur la couverture mentionnant la condamnation ou à apporter une rectification.

Article rédigé par Margerie Véron, auteur du livre « Le droit d’auteur pour les écrivains »