L’oeuvre intégrant une autre oeuvre ou la théorie de l’accessoire

Je vous mentionnais récemment le problème qui peut se poser lorsqu’une œuvre de l’esprit au sens du droit d’auteur représente une autre œuvre, comme c’est par exemple le cas des photographies représentant une œuvre architecturale.

Selon la théorie dite de l’accessoire, dès lors que le sujet qui confère à l’œuvre son caractère attractif principal n’est pas l’œuvre arguée de contrefaçon, sa reproduction et sa représentation ne seraient pas soumises aux droits exclusifs de son auteur.

Cette théorie, qui n’est en rien une exception légale au droit d’auteur, résulte de plusieurs décisions de justice. Je vous en détaille ici les principales.

Dans une première affaire, un architecte sculpteur se plaignait d’affiches publicitaires représentant notamment une fontaine de sa création. La Cour de cassation a considéré en juillet 1987 que les éléments figurant sur les affiches litigieuses ne communiquaient pas au public les traits caractéristiques originaux de ladite fontaine, rejetant ainsi l’action en contrefaçon.

Dix ans plus tard, le Tribunal de grande instance de Paris a jugé que l’inclusion des sculptures de Serge Bloch au Château de Versailles dans un film publicitaire destiné à promouvoir la marque Darty n’était là encore qu’accessoire au sujet principal traité.

En juin 2001, la Cour de cassation a considéré que l’inclusion dans un spot publicitaire d’une photographie d’un paysage, représentée sur la couverture d’un ouvrage, devait être considérée comme accessoire à la campagne promotionnelle visant l’ouvrage lui-même et n’enfreignait donc pas les droits de l’auteur de l’image de la couverture.

Dans une autre affaire, le designer d’un couteau à fromage considérait que l’utilisation de son œuvre dans une publicité pour du fromage portait atteinte à ses droits. En février 2002, la Cour d’appel de Paris a rejeté l’action en contrefaçon au motif que  le couteau ne constituait qu’un élément du décor, composé également d’animaux dans un pré sur un arrière-plan de montagnes, d’un fromage entamé, d’une tranche de pain et de fromage, disposés sur un torchon avec le couteau litigieux.

Après ces premières décisions, la Cour de cassation a posé plus clairement encore les conditions de mise en œuvre de la théorie de l’accessoire. C’est ainsi que dans une célèbre décision en date du 15 mars 2005 relative à la place des Terreaux à Lyon, la Cour, qui avait à se prononcer sur le caractère contrefaisant de cartes postales reproduisant la place des Terreaux et par conséquent les colonnes de Buren et Drevet qui y sont intégrées, a considéré que celles-ci « se fondaient dans l’ensemble architectural de la place des Terreaux dont elles constituaient un simple élément ». Pour la Cour, une telle représentation était accessoire au sujet traité, la place.

En juin 2006, la Cour d’appel de Bordeaux retenait le caractère accessoire de la reproduction d’un tableau de Dauguet dans le cadre de la diffusion par France 2 du procès Papon.

Plus récemment encore, dans une affaire qui concernait la reproduction de la méthode de lecture utilisée en classe dans le film « Être & Avoir », l’auteur (dessinateur et illustrateur) de l’œuvre contestait le caractère accessoire de l’inclusion répétée et délibérée de celle-ci au sein du film. Pour la Cour de cassation, l’inclusion de l’œuvre, même répétée (22 plans), en plein écran (10 minutes) et au premier plan, est fortuite dès lors que l’œuvre n’est pas représentée pour elle-même.

La jurisprudence détaillée ci-dessus applique ainsi la notion de reproduction et de représentation accessoire sur le plan matériel ou sur le plan intellectuel, pour exonérer l’auteur d’une photographie ou d’une séquence animée d’images d’avoir à demander l’autorisation préalable de l’ensemble des titulaires de droits d’auteur sur les œuvres de l’esprit qui pourraient apparaître dans le cadre de l’image.

Il ne s’agit toutefois que d’une exception prétorienne, qui est donc loin d’être appliquée de manière identique et systématique par toutes les juridictions. Elle doit donc être interprétée avec la plus grande prudence.

Article rédigé par Margerie Véron, auteur du livre « Le droit d’auteur pour les écrivains »